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Channel: textes – le roncier
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Nadir

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Et si l’important dans la réflexion spirituelle, ce n’était pas d’accepter que quelque chose décide pour nous, mais d’accepter qu’on ne contrôle pas tout ?

On a une blague récurrente avec Franck. Quand je lui dis que j’ai fait des examens sanguins, il me demande : Alors, t’as le sida?, ça nous fait rigoler à chaque fois et pourtant ça fait un paquet de fois que je fais des examens pour surveiller ma charge virale et mes CD4.

Pour la première fois en 13 ans, j’ai eu vraiment peur en recevant les résultats de juin.

C’est facile de ne pas se sentir malade quand on est séropo. D’ailleurs, je ne suis pas malade. Ma vie est complètement normale, à part ces examens trimestriels, et c’est encore plus facile quand on ne prends pas de traitement, comme moi. J’ai la chance d’être un «contrôleur» du virus, et j’ai jusqu’à présent gardé un charge virale faible et des CD4 élevés. Enfin, j’ai eu la chance. Jusqu’à présent.

J’avais interviewé Philippe Mangeot dans un numéro de Têtu +. L’ancien président d’Act Up-Paris a aussi été un contrôleur du VIH pendant 18 ans. Il m’avait qu’il s’était senti malade uniquement quand il avait du commencer à prendre des ARV. Il ne parlait pas des effets indésirables, mais du statut de malade. Je n’avais pas envie d’adopter ce statut là.

Difficile de ne pas voir un traitement à la longue comme un facteur limitant, enfermant même. D’ailleurs, en cas d’apocalypse zombie ou d’écroulement de la civilisation, je ne tiendrais pas deux mois sans mes médocs (même dans l’hypothèse proposée par World War Z). Je ne suis plus un survivant. Ou plutôt, je suis déjà passé de vivant à survivant. Le premier rempart est tombé et j’ai senti la chaleur des obus. J’ai encore des munitions, mais je ne peux plus jamais poser l’armure.

Aussi, je me rends compte que tant que je ne prenais pas de traitement, j’avais un petit rêve, qui flottait à la lisière de mon champs de vision, comme les bout de cellules qu’on a dans l’oeil et qu’on remarque soudainement. Je me disais, ils se sont plantés, en fait. Je ne vis pas avec le virus. On s’en rendra compte un jour. Mais en fait non. Je suis séropositif, le virus est là et il s’est réveillé.

Alors resurgit le temps. Le temps de l’essentiel. L’instant de réduction de son champ de vision : Si tout s’arrête demain, est-ce que je suis content d’être là où je suis (oui). Se marier vite, avant de ne plus pouvoir le faire. Le temps de la colère et de se rappeler pourquoi se laisser «le temps du débat» est d’une violence infinie quand on parle de droits, que c’est un luxe de bien portants qui ont oublié qu’ils allaient mourir.

On avait une blague aussi à Act Up: On disait qu’on allait faire une chute de T4 parce qu’on travaillait trop, ou parce qu’on était trop stressé. C’est littéralement ce que j’ai fait. Et je sais que c’est à cause de la violente homophobie de ces derniers mois. A cause du stress intense lié aux soit-disant débats, de se découvrir tellement détesté par certains compatriotes et si peu soutenu par la majorité des autres. C’est facile de l’oublier pourtant, mon statut de minorité discriminée, je suis un mec blanc. Mais la haine de ces religieux, de cette droite, de ces socialistes jospiniens pourris, m’a bien remis à ma place. Je n’oublierai pas, mon corps n’oubliera pas et je ne pardonnerai jamais. Cette violence m’a coûté 200 CD4 (ce qui m’amené à mon nadir, le chiffre le plus bas) et 10 kilos.

J’ai dit à ma mère, je commence un traitement, elle m’a répondu: Jusqu’à quand? J’ai rigolé avec douceur. C’était tellement la question parfaite, naturelle. Mais pour toujours, en fait, Béa. Jusqu’à la fin, probablement. Comme tous les séropos, en fait. Je n’ai pas le droit de me plaindre pour quelque chose qui aurait pu arriver 13 ans auparavant. Je prends mes médocs parce que j’ai la chance de pouvoir les prendre et que je veux continuer. Par amour, en fait.

J’y pensais depuis quelques mois, à commencer un traitement, pour l’extra sécurité du contrôle de la charge virale pour les risques de transmission. Et vous savez le nombre de nouvelles molécules auxquelles j’ai accès en 2013? Le nombre d’effets secondaires que j’ai évité et que je ne connaitrais pas avec les nouveaux médocs? Alors je me suis accordé une petite larme, et deux semaines de calme. Et puis j’ai ramassé mon bardât et je vais continuer à le porter, comme tout le monde. Parce que c’est la vie. Puis parce que c’est l’été. Ce n’est pas moi qui décide, de toute façons. Et je ne vivrai pas dans la peur.


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